Il fut un temps, pour la quinquagénaire que je suis, où les employés travaillaient de 8 h à 17 h, cinq jours par semaine, sans vraiment connaître leurs collègues et sans attendre de reconnaissance de leur employeur. La pause repas se déroulait dans un espace sobre et impersonnel, sans autre but que de se nourrir. Les plus chanceux pouvaient profiter d’un repas de Noël avec une extension de pause de 15 minutes!
Mais aujourd’hui, les temps ont bien changé. Nos milieux de travail sont devenus de véritables lieux de vie, parfois plus confortables que nos propres maisons. Les espaces communs regorgent de plantes, la luminosité est maximisée, et tout est pensé pour stimuler les sens et satisfaire nos envies : aquarium, bar à smoothies, gym, espaces pour les animaux de compagnie, et bien plus encore. Les activités sociales abondent, et les employés sont invités à participer à toutes sortes de comités pour contribuer positivement aux changements organisationnels. Désormais, tout le monde connaît tout le monde : allergies, relations conjugales, situation financière, loisirs, ambitions professionnelles… Les liens significatifs se tissent rapidement, créant une connexion forte entre collègues.
Mais alors, où est le problème?
Sans prétendre avoir une réponse arrêtée, je tiens à soulever quelques points pour alimenter la réflexion. Ces environnements stimulants et ultra-personnalisés pourraient-ils aussi être des foyers propices aux conflits, aux relations extraconjugales, aux frustrations, aux incivilités, aux chocs de générations, et bien plus encore?
Les faits parlent d’eux-mêmes. Les cas d’incivilité et de harcèlement se multiplient, et il est légitime de s’interroger sur l’influence de ce cadre de travail. La pandémie aurait certes amplifié les problèmes de santé mentale, et le mouvement #MeToo aurait encouragé la dénonciation des comportements abusifs. Mais est-il normal de voir un tel afflux de situations problématiques arriver sur le bureau des gestionnaires RH?
En tant qu’enquêtrice certifiée en harcèlement, mon expérience me conduit à observer que nos environnements de travail actuels, débordant de stimulations, sont peut-être devenus des terrains fertiles pour l’incivilité, les conflits et les comportements toxiques. Voici quelques exemples possibles:
- Programme de reconnaissance: Climat de rivalité, où certains se sentent marginalisés ou accusent leurs collègues de jouer un jeu politique;
- Nombreuses activités sociales: Certains employés, ayant des obligations familiales ou des préférences personnelles, se sentent exclus ou forcés de participer, ce qui génère des frustrations et des jugements;
- Environnement chaleureux: Des collègues qui passent beaucoup de temps ensemble dans des environnements très conviviaux (cafétérias modernisées, zones lounge, gym, etc.) développent des relations ambiguës, parfois extraconjugales.
Bien sûr, ces enjeux résultent de multiples facteurs, et j’avance avec prudence. La question des comportements toxiques au travail s’explique par bien plus qu’un simple environnement, mais j’ouvre ici un espace de réflexion sur ce sujet sensible.
Je ne propose pas un retour à un environnement de travail impersonnel et rigide, mais je nous invite à trouver un juste équilibre – un équilibre délicat et immensément complexe à définir.
Est-il possible que la surstimulation, la quête incessante du bien-être et l’interconnexion permanente dans ces milieux de travail conduisent à des écarts de comportement? Où se situe l’équilibre pour atteindre le milieu de travail « parfait » ?
De quelle manière ce texte résonne-t-il avec votre propre expérience ou vos observations?
Joëlle Francoeur, CRHA, ECH